Jacques Derrida | Témoin de toujours
Depuis quelques jours et quelques nuits, je me demande en vain d’où me viendrait encore la force ici, maintenant, d’élever la voix. Je voudrais croire, j’espère pouvoir imaginer encore que je la reçois, cette force qui autrement me manquerait, de Maurice Blanchot lui-même.
Comment ne pas trembler au moment de prononcer ici même, à cet instant, ce nom, Maurice Blanchot ?
Il nous reste à penser sans fin, à tendre l’oreille pour entendre ce qui continue et ne cessera plus de résonner à travers son nom, dans votre nom, je n’ose pas dire dans « ton nom », me souvenant encore de ce que Maurice Blanchot lui-même a pensé et publiquement déclaré de telle exception absolue, de ce privilège insigne que l’amitié confère, à savoir celui d’un tutoiement qu’il dit avoir été la chance unique de son amitié de toujours avec Emmanuel Levinas.
Emmanuel Lévinas est l’un de tous les grands amis que Maurice Blanchot aura tant souffert, il m’a confié un jour, de voir mourir avant lui. Je voudrais saluer ici leur mémoire pour l’associer à ce moment de recueillement : Georges Bataille, René Char, Robert Antelme, Louis-René des Forêts, Roger Laporte.
Comment ne pas trembler au moment de le dire ici, maintenant, ce nom, ce nom plus seul que jamais, Maurice Blanchot, comment ne pas trembler même si, invité à le faire, je dois porter aussi la parole de tous ceux et de toutes celles, ici même ou ailleurs, qui aiment, admirent, lisent, écoutent, ont approché celui que nous sommes si nombreux, dans le monde entier, depuis deux ou trois générations, à tenir pour l’un des plus grands penseurs et écrivains de ce temps, et non seulement dans ce pays.
Et non seulement dans notre langue, car la traduction de son œuvre est en train de s’étendre et continuera d’irradier de sa lumière secrète tous les idiomes du monde.
Maurice Blanchot, si loin que je me souvienne, tout au long de ma vie d’adulte, depuis que je le lis (plus de 50 ans), et surtout depuis que je l’ai rencontré, en mai 1968, et qu’il n’a cessé de m’honorer de sa confiance et de son amitié, je m’étais habitué à l’entendre, ce nom, autrement que comme celui de quelqu’un, un tiers, l’auteur incomparable qu’on cite et dont on s’inspire : je l’entendais autrement que comme le grand nom d’un homme dont j’admire et la puissance d’exposition, dans la pensée et dans l’existence, et la puissance de retrait, la pudeur exemplaire, une discrétion unique en ce temps, et qui l’a toujours tenu loin, aussi loin que possible, et délibérément, par principe éthique et politique, de toutes les rumeurs et de toutes les images, de toutes les tentations et de tous les appétits de la culture, de tout ce qui presse et précipite vers l’immédiateté des médias, de la presse, de la photographie et des écrans. On se demande si, après avoir parfois abusé de sa réserve et son invisibilité, la surenchère de certains ne les jettera pas demain, juste assez tard, le remords aidant, sur des fétiches négociables, confirmant ainsi la même dénégation ou la même méconnaissance.
Au moment de parler de l’éloignement de Blanchot, depuis des décennies, permettez-moi de remercier ici Monique Antelme. Je veux lui dire, plus qu’en privé cette fois, ma gratitude et celle de beaucoup d’autres. Cette reconnaissance va vers une amie dont la fidélité, entre la retraite de Blanchot et le monde, entre lui et nous, fut à la fois celle de l’alliée, en vérité l’alliance même, la douce, généreuse et loyale prévenance.
Je viens de marquer la date d’une première rencontre, en mai 68. Sans rappeler la cause ou l’occasion de cette rencontre personnelle, qui concerna d’abord entre nous un problème de nature éthique et politique, je souligne seulement qu’au même moment, en mai 68, donc, Blanchot était de tout son être, corps et âme, dans la rue, radicalement engagé, comme il le fut toujours, dans ce qui s’annonçait comme une révolution. Car de tous ses engagements extrêmes, ceux d’avant la guerre, je ne les passerai pas sous silence, et, tout aussi ineffaçables, ceux de l’Occupation, de la guerre d’Algérie et du Manifeste des 121, ceux de mai 68, de toutes ces expériences politiques, personne n’a su, mieux que lui, avec plus de rigueur, de lucidité et de responsabilité, tirer jusqu’au bout les leçons. Personne n’a su, mieux et plus vite que lui, assumer les interprétations et les réinterprétations, voire les conversions les plus difficiles.
Ce nom, Maurice Blanchot, je m’étais habitué à le prononcer non pas comme celui d’une troisième personne, d’un homme rare et secret dont on parle en son absence, et qu’on déchiffre, enseigne, invoque, mais comme le nom d’un vivant à qui présentement l’on parle, à qui l’on s’adresse, un nom qui fut, au-delà de la nomination, donc, l’appellation toujours destinée à quelqu’un dont l’attention, la vigilance, le souci de répondre, l’exigence de responsabilité furent reçues par tant d’entre nous comme les plus exigentes et les plus rigoureuses de ce temps. C’était devenu, ce nom, à la fois le nom familier et étrange, si étrange, si étranger de quelqu’un qu’on appelle ou qui vous appelle au dehors, inaccessible, infiniment loin de soi, mais un nom aussi intime et ancien, un nom sans âge, celui d’un témoin de toujours, d’un témoin sans complaisance, d’un témoin veillant en nous-même, du témoin le plus proche, mais aussi de l’ami qui n’accompagne pas, soucieux de vous laisser à votre solitude, toujours attentif à rester néanmoins près de vous, dans la sollicitude de tous les instants, de toutes les pensées, de toutes les questions aussi, des décisions et des indécisions. Le nom d’un visage que la douceur du sourire ne quitta pas une seconde tout le temps de nos rencontres. Les silences, la respiration nécessaire de l’ellipse et de la discrétion, au cours de ces entretiens, ce fut aussi, autant que je me souvienne, le temps béni, sans la moindre interruption, le temps continu d’un sourire, d’une attente confiante et bienveillante.
Une tristesse infinie m’ordonnerait ici à la fois de me taire et de laisser parler mon cœur pour lui répondre encore, ou pour m’interroger, comme si j’espérais encore une réponse, pour parler encore à lui devant lui et non seulement de lui, comme si être devant lui pour m’adresser à lui, pour lui, signifiait encore quelque chose. Cette tristesse sans fond me prive implacablement, hélas, et de la liberté et de la chance de l’appeler, comme je le fis encore il y a peu au téléphone. J’entendis alors l’essoufflement de sa voix affaiblie, certes, mais pressée de rassurer en évitant la plainte. Rien ne me donne plus le droit de l’appeler, là où, ne pouvant à jamais que désespérer de le faire, je ne pourrais pourtant pas renoncer à lui parler - mais au-dedans de moi.
Et pourtant. Maurice Blanchot vivant, Maurice Blanchot de son vivant, ceux qui l’ont lu et entendu le savent bien, ce fut aussi quelqu’un qui ne cessa de penser la mort, et sa propre mort, l’instant de la mort, ce qu’il intitula L’instant de ma mort. Mais toujours comme l’impossible. Et quand il s’obstinait à dire la mort impossible (au point que, comme tant de ses amis, pour lutter contre les pires certitudes de l’inéluctable, je me réconfortais parfois, en jouant le naïf, à l’espérer immortel, en tout cas moins sujet à mourir, si je puis dire, que nous tous - et un jour il m’écrivit sur un ton inhabituel, au retour de l’hôpital, après une chute dont il venait de se relever : « Vous voyez, j’ai une bonne nature »), oui, quand il tenait à tenir la mort pour impossible, il n’y entendait pas une victoire jubilatoire de la vie sur la mort, mais davantage l’acquiescement à ce qui vient limiter le possible, et donc tout pouvoir, là où, L’Écriture du désastre le précise, celui qui voudrait encore dominer ce non-pouvoir, « se rendre maître de la non-maîtrise », doit alors se heurter, « autre que lui-même, à la mort comme ce qui n’arrive pas ou comme à ce qui se retourne (démentant, à la façon d’une démence, la dialectique en la faisant aboutir) en l’impossibilité de toute possibilité » (p. 107).
Car au-delà de tout ce qu’une lecture précipitée porterait à croire, au-delà de ce que sa constante attention à la mort, à cet événement sans événement du mourir, peuvent laisser penser, Maurice Blanchot n’a aimé, il n’aura affirmé que la vie et le vivre, à la lumière de l’apparaître. Nous en avons mille signes et dans ses textes et dans la façon dont il a tenu à la vie, dont il a préféré la vie, jusqu’à la fin. Avec, j’ose le dire, une singulière gaîté, la gaîté de l’affirmation et du « oui », une autre gaîté encore que celle du gai savoir, moins cruelle sans doute, mais une gaîté, la joie même du bonheur à laquelle des oreilles assez fines ne pouvaient pas manquer d’être sensibles. Dans tous les écrits qu’il a consacrés à la mort, c’est-à-dire en vérité dans tous ses écrits, qu’il s’agisse des discours de type philosophique ou philosophico-politique qui ont remué tout le champ de la pensée, de son histoire, de ses œuvres canoniques à ses avancées les plus inédites, qu’il s’agisse de ses exégèses littéraires qui ont, sur tant de corpus français et étrangers, inventé d’autres façons de lire et d’écrire, qu’il s’agisse de ses récits, romans, fictions (qu’on commence, me semble-t-il, à peine à lire, et dont l’avenir reste à peu près intact), qu’il s’agisse encore de toutes les œuvres qui, comme L’attente l’oubli ou L’Écriture du désastre mêlent indissociablement, et de façon encore inouïe, la méditation philosophique et la fiction poétique, eh bien, partout, le morbide et le léthal restent étrangers au timbre ou à la tonalité musicale de cette parole. Contrairement à ce qu’on dit souvent ou légèrement. Nulle complaisance, chez lui, de nombreuses citations pourraient l’attester, pour la tentation suicidaire ou pour quelque négativité que ce soit. À écouter Le dernier homme, nous entendons celui qui avant de déclarer « Je me suis persuadé que je l’avais d’abord connu mort, puis mourant », avait déjà clamé, je cite, le « bonheur de dire oui, d’affirmer sans fin » (p. 12).
Je voudrais, pour lui rendre plus que jamais la parole, lire encore, au moment où pour nous tout revient ici, sans plus rester, à l’épreuve des cendres, quelques lignes de L’Écriture du désastre, cet immense livre hanté par l’innommable incinération que fut l’Holocauste et dont on sait que l’événement, comme un autre nom du désastre absolu, devint aussitôt le centre de la plus insistante gravité de son oeuvre. Comme il le sera indirectement partout, l’Holocauste fut rappelé à l’ouverture du livre. Qui désigne la « brûlure de l’Holocauste, l’anéantissement du midi », et « l’oubli immobile (mémoire de l’immémorable) qui constitue le désastre, même si ce désastre, dit-il encore, nous le connaissons peut-être sous d’autres noms... » (p.15).
Comment et pourquoi avons-nous le souffle coupé par la douleur et le deuil, pourquoi nous sentons-nous interdits, suffoqués, comme sous le coup d’un événement inouï, au moment où nous quitte quelqu’un qui pourtant n’a cessé, dans ses œuvres et dans ses lettres (comme peuvent en témoigner, à peu près sans exception, toutes celles que j’ai reçues de lui depuis des décennies) de dire l’imminence de sa mort, mais aussi bien que la mort était l’impossible même ? et que de toute façon, si elle n’arrivait jamais, c’est qu’elle était déjà arrivée ? Nous ne pouvions pas être à la fois plus préparés à sa mort, plus préparés par lui-même et pourtant plus désemparés aussi, à la fois blessés, plus endeuillés d’avance et plus incapables d’amortir l’imprévisible. La mort toujours imminente, la mort impossible et la mort déjà dépassée, voilà trois certitudes apparemment incompatibles mais dont l’implacable vérité nous fait don de la première provocation à penser. Ce dont prend acte et que scelle L’Écriture du désastre (p. 181,2) :
« S’il est vrai que, pour un certain Freud, "notre inconscient ne saurait se représenter notre propre mortalité", cela signifie tout au plus que mourir est irreprésentable, non pas seulement parce que mourir est sans présent, mais parce qu’il n’a pas de lieu, fût-ce dans le temps, la temporalité du temps. »
Puis parlant d’une singulière « patience » qui, dit-il, « ne se souffre "en nous" que comme la mort d’autrui ou la mort toujours autre, avec laquelle noue ne communiquons pas, mais dont, en deçà de l’épreuve, nous nous sentons responsables », il conclut :
« Il n’y a rien à faire avec la mort qui a toujours eu lieu : œuvre du désœuvrement, non-rapport avec un passé (ou un avenir) sans présent. Ainsi le désastre serait au-delà de ce que nous entendons par mort ou par abîme, en tout cas ma mort, puisqu’il n’y a plus de place pour elle, y disparaissant sans mourir (ou le contraire). »
« ... ou le contraire » : disparaître sans mourir ou mourir sans disparaître, l’alternative n’est donc pas simple. Elle se dédouble elle-même, nous en endurons l’épreuve aujourd’hui. De celui qui nous l’aura donné à penser, nous pouvons dire aujourd’hui qu’il meurt sans disparaître mais aussi qu’il disparaît sans mourir. Sa mort peut rester impensable, elle lui était déjà arrivée. Entre la fiction littéraire et l’irrécusable témoignage, L’instant de ma mort en libère le récit et l’inconcevable temporalité. Celui qui alors, d’une certaine façon, mourut déjà, et plus d’une fois, il pesait, il examinait encore l’impondérable, je le cite, « le sentiment de légèreté » que je ne saurais traduire : libéré de la vie ? l’infini qui s’ouvre ? Ni bonheur ni malheur. Ni l’absence de crainte et peut-être déjà le pas au-delà. Je sais, j’imagine que ce sentiment inanalysable changea ce qui lui restait d’existence. Comme si la mort hors de lui ne pouvait désormais que se heurter à la mort en lui. « Je suis vivant. Non, tu es mort. »
« Je suis vivant. Non tu es mort », ces deux voix se disputent ou se partagent la parole en nous. Et inversement : Je suis mort. Non, tu es vivant. La lettre qui accompagna l’envoi de L’Instant de ma mort, le 20 juillet 1994, me disait, dès ses premiers mots, comme pour marquer le retour ou la répétition des anniversaires :
« 20 juillet, il y a cinquante ans je connus le bonheur d’être presque fusillé. Il y a vingt-cinq ans, nous mettions nos pas sur la lune. »
Parmi les mises en garde les plus dignes qu’il me faut feindre un instant d’oublier ou de trahir, il y aurait celles, mémorables, de l’amitié même, je veux dire celles qui ouvrent, en italiques, la conclusion « L’amitié » dans le livre qui porte le même titre L’amitié, et d’abord recueilli, dédié, on le sait, à la mémoire et à la mort de Georges Bataille :
« De cet ami, comment accepter de parler ? Ni pour l’éloge, ni dans l’intérêt de quelque vérité. Les traits de son caractère, les formes de son existence, les épisodes de sa vie, même en accord avec la recherche dont il s’est senti responsable jusqu’à l’irresponsabilité, n’appartiennent à personne. Il n’y a pas de témoin [...] Je sais qu’il y a les livres. Les livres demeurent provisoirement, même si leur lecture doit nous ouvrir à la nécessité de cette disparition dans laquelle ils se retirent. Les livres eux-mêmes renvoient à une existence. »
Quant à « ce qu’introduit en elle d’imprévisible l’étrangeté de la fin », Blanchot insiste encore :
« Et ce mouvement imprévisible et toujours caché dans son imminence infinie - celui du mourir peut-être - ne vient pas de ce que le terme ne saurait être donné à l’avance, mais de ce qu’il ne constitue jamais un événement qui arrive, même quand il survient, jamais une réalité capable d’être saisie : insaisissable et maintenant jusqu’au bout dans l’insaisissable celui qui lui est destiné. »
Ces mots, prenons-les, reprenons-les, apprenons cette distinction entre survenir et arriver. Disons que la mort de Blanchot est indéniablement survenue, mais elle n’est pas arrivée, elle n’arrive pas. Elle n’arrivera pas.
Même si Blanchot nous a justement mis en garde contre toutes les lois du genre et de la circonstance, contre l’éloge de l’ami et contre le genre biographique ou bibliographique de l’oraison, même si, de toute façon, aucun discours, fût-il interminable, ne saurait ici se mesurer à l’ampleur d’un tel devoir, qu’il me soit permis de confier encore quelques mots à ceux et à celles qui sont ici ses lecteurs et ses lectrices, certes, mais aussi des familiers, des voisins, les proches qui, au Mesnil-Saint-Denis, ont entouré Maurice Blanchot de leurs soins et de leur affection, jusqu’à la fin (je pense en particulier, pour l’en remercier, à Cidalia Fernandez) ; ces quelques mots, donc, pour les convaincre encore de ceci, comme de notre reconnaissance : celui que nous accompagnons ici nous lègue une œuvre dont nous ne finirons jamais, en France et dans le monde, de recevoir le présent. À travers les frayages d’une écriture sobre et fulgurante qui interroge sans fin et sans assurance sa propre possibilité, il a marqué tous les domaines, celui de la littérature et de la philosophie où rien ne s’est produit qui n’ait été connu et interprété par lui de façon inédite, celui de la psychanalyse, de la théorie du langage, de l’histoire et de la politique. Rien de ce qui aura inquiété le siècle passé, et déjà celui-ci, de ses inventions et de ses cataclysmes, de ses mutations, de ses révolutions et de ses monstruosités, rien de tout cela n’aura échappé à la haute tension de sa pensée et de ses textes. À tout cela il aura répondu en s’exposant à d’inflexibles injonctions. Il l’a fait sans institution, ni celle de l’université ni même celle des groupes ou attroupements auxquels se prêtent à l’occasion certains pouvoirs, et parfois même au nom ou sous les noms de la littérature, de l’édition et de la presse. Le rayonnement parfois invisible de son œuvre, dans tout ce qu’il a dérangé et transformé dans nos manières de penser, d’écrire ou d’agir, je ne crois pas qu’on puisse le définir par des mots tels que « influence » ou « disciples ». Blanchot n’a pas fait école, il a d’ailleurs dit ce qu’il y avait à dire de la parole et de la maîtrise pédagogiques. Blanchot n’a pas eu ce qu’on appelle de l’influence sur des disciples. C’est de tout autre chose qu’il s’agit. L’héritage qu’il nous laisse aura réservé une trace plus intérieure et plus grave : inappropriable. Il nous aura laissés seuls, il nous laisse plus seuls que jamais avec des responsabilités sans fond. Certaines nous engagent déjà envers l’avenir de son oeuvre, de sa pensée, de sa signature même. La promesse qu’à cet égard, pour ma part, je lui ai faite, elle restera indéfectible, et je suis sûr que beaucoup ici partageront cette fidélité.
Régulièrement, une ou deux fois par an, je lui téléphonais et lui envoyais une carte postale du village d’Èze. Il y a deux ans, je le fis en compagnie de Jean-Luc Nancy, notre ami commun qui se trouve ici, près de moi, et vers qui la pensée de Blanchot s’est si souvent tournée, notamment dans La communauté inavouable. Or chaque fois, donc, que je lui adressais une vieille carte postale d’avant la guerre après l’avoir choisie chez un marchand collectionneur dans les ruelles de ce vieux village d’Èze où Blanchot, il y a longtemps, avait séjourné et sans doute croisé le spectre de Nietzsche dont un chemin porte encore le nom, chaque fois, donc, à mesure que les années passaient, j’osais à peine m’inquiéter en moi-même en murmurant : j’espère que je lui enverrai, encore longtemps, d’autres cartes postales, avec la même ferveur ritualiste, affectueuse et un peu superstitueuse. Je sais aujourd’hui que, sans jamais plus confier de tels messages à la poste, je continuerai de lui écrire ou de l’appeler, dans mon cœur ou dans mon âme, comme on dit, aussi longtemps que je vivrai.